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Etudiants Ste Eu
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17 avril 2008

La liberté

La liberté, le libre-arbitre, l’autonomie

 

Si la liberté se laissait définir, elle ne serait plus liberté : elle est une réalité à facettes, et plus encore qu’une réalité, une idée régulatrice, une méthode, une règle de vie, une discipline. La liberté est contradiction à affronter, jamais surmontée, sans quoi, elle n’est plus liberté.

 

 1) Le pôle Je ou la liberté abstraite

 2) Le pôle Tu et la relation à autrui

                 3) Le pôle Il et la règle du vivre ensemble

 

1°) Le pôle Je ou la liberté abstraite

 

Le libre-arbitre, ou pouvoir faire ce que je veux = l’abstraction de la liberté

L’adolescence, la liberté du je : je ne veux rien devoir à personne.

L’in-dépendance , c’est la liberté au sens négatif, la non détermination, ou encore la liberté, c’est l’autre de la nature (i.e : du déterminisme, principe de causalité)

 

Revenons jusqu’au prologue du drame de la liberté, au moment où Dieu plante le décor: en Gn 2, 8-17, la parole ne dit pas ce qu’est le bien et le mal, mais elle dit que ce n’est pas en mangeant et dévorant, c’est à dire en s’appropriant avidement le principe du bien et du mal, que l’on possèdera tout, mais en assumant au contraire la distance et le manque, qui nous arrachent au tout fusionnel pour nous permettre d’entrer dans la diversité du tout structuré (comme le montre l’image des quatre fleuves, v.10-14) 7 . L’homme est ainsi mis devant la décision, le choix qui tranche, non pas entre le bien et le mal, mais plus radicalement entre la vie et la mort, et sa liberté est par là invitée à croître; (cf. Siracide, 15, 13-20: “Ne dis pas: c’est le Seigneur qui m’a fait pécher”, car il ne fait pas ce qu’il a en horreur... C’est lui qui au commencement a fait l’homme et il l’a laissé à son conseil... Si tu le veux tu garderas les commandements: rester fidèle est en ton pouvoir. Devant toi il a mis le feu et l’eau, selon ton désir étends la main. Devant les hommes sont la vie et la mort, à leur gré l’une ou l’autre leur est donnée”).

Ce prologue nous permet de comprendre alors le sens de la relation inaugurée par le premier acte, auquel nous pouvons venir maintenant, et que le péché va profondément perturber. La création de la femme comme partenaire rompt la solitude de l’homme, instaure la différence comme espace de relation, et rend possible la parole. Le langage qui distingue, classe et sépare, est déjà là: l’homme nomme les animaux qui défilent devant lui, mais devant la femme il devient sujet de parole et s’exclame “à ce coup celle-ci est l’os de mes os et la chair de ma chair!” “c’est pourquoi, ajoute le texte, l’homme quittera son père et sa mère...” c’est-à-dire le cocon familial, le nid des commencements, pour lancer une histoire nouvelle Le corps semblable et différent, le corps sexué, est ainsi le lieu du regard et de la parole d’émerveillement, lieu de liberté, car lieu de l’appel et de la réponse, du dialogue: et cette liberté-là n’est pas indépendance solitaire et autarcique, possessive et dévoratrice, mais relation, disponibilité. Cette liberté ne présuppose pas la connaissance du bien et du mal comme objets de savoir (nous sommes trop imprégnés de l’intellectualisme qui nous fait croire que seul le savoir peut fonder l’action bonne8 ), mais la reconnaissance d’une différence, d’une altérité irréductible. La liberté est toujours liberté en condition, en situation, c’est-à-dire encore en relation, en responsabilité. Ainsi pour pouvoir répondre de ses actes, il faut en effet être libre. Or être libre ne relève pas d’un savoir, mais d’une relation, d’une parole réciproque, d’appel et de réponse.

 

2°) Le pôle Tu et la relation à autrui

 

a- Le désir et la liberté : le contrepoint de l’attirance (désir) et de l’engagement (liberté)

b- Être homme, c’est être responsable : Sartre, déni de l’inconscient, la liberté du pour-soi face à l’en-soi est négativité, néantisation [j’ai évoqué de vive voix « La Nausée », et la pièce « Les Mouches », de J.P. Sartre : — expérience d’opacité, de massivité de la réalité, face à laquelle l’homme se sent « de trop » (Roquentin) — revendication d’Oreste : « j’ai fait mon acte, et les dieux eux-mêmes, le destin, ne peuvent m’ôter ma liberté].

 

c- La responsabilité pour autrui.

 

Le Désir d’Autrui — la socialité — naît dans un être à qui rien ne manque ou, plus exactement, il naît, par delà tout ce qui peut lui manquer ou le satisfaire. Dans le Désir, le Moi se porte vers autrui, de manière à compromettre la souveraine identification du Moi avec soi-même dont le besoin n’est que la nostalgie et que la conscience du besoin anticipe. [...] La relation avec Autrui me met en question, me vide de moi-même et ne cesse de me vider en me découvrant des ressources toujours nouvelles. Je ne me savais pas si riche, mais je n’ai plus le droit de rien garder. le Désir d’Autrui est-il un appétit ou une générosité ? Le Désirable ne comble pas mon désir mais le creuse, me nourrissant, en quelque manière, de nouvelles faims.

L’Humanisme de l’autre homme, éd. Fata Morgana 1972, p. 45-46

 [Voir aussi dans le même ouvrage : p.97-98-99 ]

Voilà donc qu’une autre voix fait entendre une proclamation totalement inverse de la revendication de libre-arbitre « pur » ; un philosophe de grande autorité, Emmanuel Lévinas, ose invoquer la réquisition qui fait de moi l’otage d’autrui, et me somme d’obéir au commandement absolu: “Tu ne tueras pas”, et veut y reconnaître une responsabilité métaphysique, inconditionnelle, qui n’est suspendue à aucune liberté, mais au contraire fonde toute liberté possible. Cette pensée est une éthique radicale du fondement de la subjectivité non pas dans l’activité de la raison, mais dans la réceptivité, voire la passivité devant le Visage d’autrui. La responsabilité est alors la relation éthique par excellence, elle repose sur le commandement absolu, l’interdit du meurtre.

Je suis donc responsable non seulement devant autrui, mais aussi en même temps responsable pour autrui, et cet appel qui me suscite et m’éveille au service des autres me rend libre de deux manières : premièrement autrui, en faisant irruption dans mon monde, brise le monde clos de mon égoïsme naturel, la sphère de ma conscience, celle de mes phénomènes, de mon expérience. Autrui ouvre à mon existence une dimension infinie, par le désir je suis happé hors de moi-même vers l’Autre, je suis libéré de mes aliénations, de mon enfermement; deuxièmement, je suis positivement dynamisé et “habilité” à l’action concrète, la motivation née de la révélation du Visage, me rend inventif, me fait trouver au plus profond de moi des ressources insoupçonnées.

 

La pensée d’Emmanuel Lévinas rejoint ici paradoxalement (parce qu’il parce qu’il le fonde sur une expérience de la rencontre d’autrui et non sur une conscience rationnelle du devoir) ce que le philosophe Kant a nommé l’impératif catégorique, la formule de la loi morale : « Agis toujours de telle manière que tu prennes autrui toujours comme une fin et jamais seulement comme un moyen ». La liberté se nomme alors autonomie (capacité de se donner à soi-même la loi à partir de la raison.

La liberté morale se donne en effet elle-même la Loi, elle fixe à la maxime (la règle subjective de l'action), la norme d'universalité, qui commande à la volonté individuelle, empêtrée dans ses motivations sensibles, elle regarde avec respect en chaque individu humain concret une personne dont la valeur est infinie. La loi morale énoncée par la liberté oblige la volonté à se tourner vers le monde, elle commande d'agir dans le monde comme s'il pouvait être un monde moral, un règne des fins, quoi qu'il en soit de sa réalité si mêlée et confuse. Ainsi se trouve indiqué, par le commandement de la raison, un sens moral de l'agir, en dépit de l'obscurcissement qui pervertit, presque inévitablement, l’accueil métaphysique de l'altérité absolue d'autrui.

 

3°) Le pôle Il et la règle du vivre ensemble

 

a- le travail et la maîtrise de la nature

b- le récit de vie, le pardon, la réconciliation

 

Nous voyons par cette notion de la responsabilité qu’autrui est lui-même inscrit dans une dimension collective, communautaire ou sociale, où la loi politique intervient en même temps que la loi morale.

 

La réflexion sur la responsabilité indique en effet l'intersubjectivité comme la dimension fondamentale de l'éthique et désigne le monde comme horizon d’une liberté incarnée.

 

a- Dans sa première manifestation historique dans le monde réel, la liberté agit  en transformant le donné naturel par le travail, son projet est la maîtrise de la nature. A son premier niveau, la liberté est ainsi traversée par la tension entre l'indépendance et le pouvoir : elle est d'un côté contraction sur soi, négation, identité farouchement préservée des déterminismes, d'un autre côté sortie de soi, expansion et affirmation, pouvoir d'initiative, volonté créatrice. Entre ces deux sens de la liberté, ( = négatif et positif, repli et engagement), la responsabilité peut assurer le lien : assumer ses actes devant autrui, c'est donc à la fois les accepter comme engagés et étroitement tissés à la réalité, et en même temps en revendiquer le principe autonome dans une volonté stable capable de répondre à la question : « qui a fait cela ? ». La responsabilité consiste à assumer ses actes alors même que leurs conséquences peuvent en être négatives, sans rejeter sur quelque cause extérieure leur détermination ; ce faisant, la responsabilité revendique à la fois l'indépendance du vouloir, son origine dans une identité personnelle, une liberté exempte de tout déterminisme, mais aussi le pouvoir positif d'inscrire concrètement dans le réel sa marque propre. L’initiative humaine s’articule avec la série concrète des faits, sans s’y aliéner : en se reconnaissant le même qui pose son acte et qui en accepte les conséquences, le sujet responsable ouvre à sa propre histoire un avenir et une unité. L'identité conquise par la responsabilité, c’est celle d'un sujet capable de reprendre ses actes dans un récit qui relie l'intention, les actes et les conséquences dans une suite narrative cohérente. La responsabilité est au croisement de cette indépendance du vouloir et de cet engagement de la liberté dans une histoire.

 

b - Or ce récit se dit à quelqu'un, il est une parole au coeur d'une relation, réponse à une question, tentative de justification, attente de compréhension et demande de pardon. La deuxième dimension de la liberté apparaît ici, celle de la liberté éthique en situation concrète d'intersubjectivité. Ce n'est plus seulement le rapport à la nature qui est en jeu, c'est la relation sociale. Dans l'enténèbrement de la rencontre d’autrui par la puissance du mal diviseur, la liberté morale rationnelle ouvre l’horizon concret de l'agir en orientant la décision pratique par l’idée du règne des fins, l'idée régulatrice d'un monde moral, dont elle tente de tisser les fils dans des lois positives le plus proche possible de la règle de justice. À défaut de l'expérience métaphysique de la responsabilité, trop souvent masquée par les déterminations naturelles, la liberté informée par la raison pratique trace au coeur de l'existence empirique les figures de la moralité, définissant ainsi la pluralité des responsabilités concrètes. C'est ici la médiation historique et sociale qui module, ou schématise, la responsabilité empirique sous l'autorité de la loi morale rationnelle. Mais celle-ci reste inspirée, au plan métaphysique et religieux, par la Responsabilité infinie signifiée par le Visage.[1]

 


 

· [1] voir Liberté-responsabilité (Lib-Resp.doc/Documents/Maison/Ste Eu

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